Textes
Catherine Duruel
Conservateur au service des Collections
Musée national d’art moderne
Centre Georges Pompidou
J’ai découvert le travail de Pierre Constantin dans un cadre privé et donc loin de toute considération professionnelle. Cependant, mon statut de responsable des collections au Musée national d’art moderne, au Centre Pompidou, me permet de me complaire dans la découverte des Oeuvres qui font La collection de cette institution et de leur apporter tout le soin nécessaire à leur bonne conservation.
Si je me sens l’âme à parler du travail de cet artiste, ce n’est pas tant au travers de cette perception des Oeuvres qui fait mon quotidien et qui ne me laisse pas un jour sans éprouver des émotions ou autres sensations de plaisir à exercer un métier qui me passionne, que par envie de confier l’originalité de son geste d’artiste.
Entre se laisser séduire par des reproductions d’oeuvres à jamais figées sur les pages glacées d’un album ou encore s’offrir la possible appréhension de chefs d’oeuvre hissés sur les cimaises d’un musée légendaire ou protégés des regards du public au sein de réserves qui les abritent, un pas peut encore se franchir. C’est celui de l’émotion inattendue, du langage du corps et de l’esprit qui vous bouleverse et vous procure de l’émerveillement.
Car le travail de Pierre Constantin est tout cela à la fois. De la transe de sa gestuelle émerge un dessin débridé qui résonne en écho au pas de danse, à la note de musique, au son de l’instrument. Et alors que son geste artistique se veut comme « un arrêt sur image », à jamais gravé sur le papier, c’est un mouvement infini, une ondulation répétée, ou encore une résonance mille fois répercutée qui prend naissance sur la feuille blanche.
Son art c’est aussi l’envie de satisfaire à sa curiosité, d’ouvrir son regard sur le monde de l’art, où que celui-ci prenne sa source et de pouvoir encore et encore transcrire cette émotion sur le papier. C’est regarder l’Autre au travers de sa propre expression. C’est enfin l’envie de témoigner de sa surprise intime face au spectacle qui le happe, à la parole qui le prend, à la musique qui l’envoûte, pour nous délivrer finalement le fruit de ses sensations dans toute l’impudeur de sa transe.
C’est le travail d’un artiste parmi des artistes, mais que ma parole transcrite à son tour puisse lui valoir une bonne appréciation.
Paris – Avril 2009
From P. Malaussène To P. Constantin
On peut dire que les dessins de Pierre Constantin sont des dessins de mouvements, puisqu’il s’agit de danse. Mais comment est-ce possible de dessiner le mouvement, pas des corps mobiles mais bel et bien le mouvement? Le mouvement est insaisissable en soi. Qu’on en donne une définition objective le fixe et le dénature, contredit l’expérience qu’on en a comme phénomène vécu. En effet la définition commune du mouvement comme changement de position des corps, d’une position initiale a une position finale, donne au mouvement une réalité rétrospective et en annule la dynamique et le sens. Dans tons les cas, ce n’est pas exactement le mouvement qu’on perçoit, c’est plutôt la chose en différents points. C’est pourquoi au lieu de mobilité des choses, on parlera de choses mobiles. Par où on voit bien aussi que 1’idée de déplacement ne suffit pas : car une chose non mobile peut être déplacée par une action extérieure, une main par exemple portant un objet inerte d’un endroit a un autre. On pourra bien décomposer 1’affaire et multiplier la ponctuation pour résoudre l’écart, il n’en reste pas moins cet intervalle perdu ou justement se déploie le mouvement en train de se faire et où justement la pensée s’épuise et fatalement s’échoue. Le mouvement en tant que tel lui résiste sauf à ce qu’elle se laisse emporter et qu’il s’agisse du mouvement de la pensée elle-même, créant en son coeur un impensé. Mais l’impensable, quoiqu’il la laisse à tout jamais décomplétée, n’est pas étranger à la pensée et ne lui est pas hostile : il en est l’oeil aveugle.
De même le mouvement est par essence invisible. Mais il est aussi le plus intime du regard. De la même façon qu’il faut un mouvant dans le mouvement, il faut un fond au mouvement, il dépend d’un lieu d’ancrage nécessairement fixe… Ce n’est pas parce que des danseurs se déplacent qu’ils sont en mouvement. Il leur faut un œil arrimé qui les regarde. Le fond du mouvement n’est pas l’espace derrière les danseurs, que d’ailleurs Pierre Constantin laisse vierge. Ce n’est pas sur cet immobile-là que leur mouvement apparaît mais bien sur le regard ancré dans le monde. Le regard alors tire sur ses chaînes, comme celui de Pierre Constantin tire sur son encre pour devenir passage de la chose en mouvement, entre le corps de l’homme et la chair du monde. Pierre Constantin dessine. Il est tendu vers son objet et parce qu’il les prend dans son regard, ces corps en mouvement vont passer par lui qui leur livre son geste. Ainsi ses dessins expriment-ils le passage de l’ici au là par une attitude que les corps n’ont eu à aucun moment. Ou plus exactement dans des attitudes, mais c’est déjà faux de le dire comme cela, qui n’ont pas pu être vues puisqu’elles étaient dans cet intervalle irréductible aux positions obtenues. Elles n’ont pas été vues : elles sont advenues. Le dessin, par le sentiment de son urgence, s’offre comme un temps de transition pour ce mouvement perceptible et invisible dont on trouve la trace dans le vertige du regard. Les corps sont comme en train de basculer, de passer d’un autre côté ou d’être emportés par un invisible : c’est ce vide qu’il réussit à dessiner. Son geste s’harmonise autour de ce point de déséquilibre et l’œuvre est un pivot, un pur instant.
Paris – Janvier 2006
Pia Malaussène – Du Geste au Silence
Je pose donc que le travail de Pierre Constantin relève de la peinture gestuelle.
Cela libère d’avoir à la décrire, pour dire où et comment elle s’inscrit, soit dégager la façon dont le peintre se rapporte à son support. Et là, le sujet de la peinture n’est pas la chose peinte.
Bien sûr, Pierre Constantin peint des corps qui dansent et en figure le mouvement. Et lorsqu’il s’essaie à improviser sur une musique, on trouve dans le fil de son trait des ressemblances avec une portée de notes ou l’évocation d’une réalité sensible.
L’œuvre pourtant n’est pas dans son achèvement mais dans son accomplissement. Car la production finale ne trouve à exister qu’à travers le spectacle d’un geste posant sur le papier vierge des lignes parties d’on ne sait où et qui n’arriveront pas où l’on pourrait les attendre, se surchargeant les unes les autres ou déliant d’un trait le nœud où elles étaient retenues : « Ho ! une vache ! » dit l’enfant attentive. « Ha, il vient de la rayer… ». L’enfant voit quelque chose qu’on peut reconnaître une fois signalé mais ce n’est pas ce que l’on voit qui fait la vérité du dessin de Pierre Constantin, c’est ce qui en apparaît et devient : aucun trait ne précise la représentation et ne l’approfondit, c’est une histoire qui se trame, se développe, enchevêtre ses éléments dans le temps d’un récit non prémédité.
Le spectacle se donne pour une improvisation mais la notion de non-préméditation est plus intéressante. Elle rappelle que l’agent est bien là, dans l’innocence du surgissement de son acte mais non sans en être l’intime sujet.
Le geste ici n’accompagne pas la musique de l’instrument ou le mouvement du danseur pas plus qu’il n’illustre le concert ou la rencontre des corps. Pur tracé dynamique d’énergie vitale, le geste est celui d’un plasticien qui dessine.
Le plus fort de tout, sous couvert d’une collaboration, musicale par exemple, supposée ouvrir un champ d’inscription commune, c’est qu’il dessine : rien, c’est à dire quelque chose qui n’est pas là. Ou plus précisément, qui va ne pas être là.
Si l’on arrive à se libérer du vilain penchant à vouloir que tout soit image d’une chose, on se rend compte que le dessin de Pierre Constantin ne ressemble à rien. Il se sert d’une figure pour lui échapper, comme par de petits sauts l’acrobate sortirait du cadre et laisserait le vide comme événement.
On est proche de cette expérience enfantine qui consiste à lire la tête posée de côté sur le bras plié, à lire de biais pour apercevoir les cheminées blanches, les couloirs vides entre les mots, pour lire non pas en profondeur mais ce qui du fond se tend vers la surface matérielle.
On dirait que Pierre Constantin dessine en équilibre sur le monde dans une continuité jamais acquise, prête à se rompre à tout instant et pas seulement quand, se levant pour imprégner le calame, la main quitte la feuille. Le silence alors, puisque s’est tu le bruit du dessin en train de se faire, se ponctue d’une tâche ronde parfaite, laissée par l’encre goûtant du roseau taillé quand la main retourne à son geste.
Enluminure, le trait ceint un espace, le partage, l’indique, le forme comme le vase enferme une vacance aux mains du potier modelant le vide en travaillant la matière.
Le dessin organise l’espace pour délimiter les énoncés d’une représentation qui n’a jamais lieu tandis qu’on nous fait croire qu’elle est sur scène. Tromperie ? Trompe l’œil plutôt.
Le texte qui ne s’écrit pas, au cœur du dessin déroulant, reste à la charge de chacun, comme toute interprétation. C’est la mythologie du plasticien, gardée secrète. C’est la nôtre, libérée par distraction lorsque le lien de la musique et du dessin nous tient serrés au point de leur factice conjonction.
Du spectacle, à la fin, il ne reste rien de ce qui s’est passé. Ephémère, l’événement s’éteint dans le dessin devenu une signature, complexe, embrouillée, illisible : l’indéchiffrable du sujet.
Quelques mots sur ma démarches artistique
